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Esperado

Soudain, quelques minutes plus tard, mon amie Carolyne Shuster, organiste franco-américaine réputée et marraine d’Alexandre, demande à me parler par téléphone. Nous avons fait ensemble nos études universitaires de musicologie en même temps et préparé nos thèses à « l’Ecole Pratique des Hautes Etudes de Paris » puis nous avons crée le « Pro Angelis Duo » (Orgue et Alto).
Carolyne ne sait rien de ma maladie : dès mon retour, j’ai demandé à Florence de n’en parler à personne. Elle m’annonce avoir pensé à moi pour un grand projet. Son ami, le professeur Felician Rosca veut planifier des concerts dans le cadre du tout nouveau « Festival Timergelfest international de Musique » à Timisoara en Roumanie. Par son intermédiaire, ce grand musicien me propose de jouer avec lui le « Double Concerto pour Orgue et Alto» de Michael Haydn.
C’est un défi ! Féllician et Carolyne, tous les deux passionnés par le projet, ont réussi à dénicher une partition de cette œuvre peu connue et jamais jouée. Ils me demandent d’en écrire les deux « cadences » qui n’existent pas. Ces passages sans accompagnement de l’orchestre où les solistes jouent pour démontrer leurs virtuosités et qualités d’interprétations.

Le concert aura lieu en septembre 2012. Sans réfléchir davantage, je déclare avec assurance que c’est d’accord, qu’ils peuvent compter sur moi !
Deux jours plus tard je reçois par courrier le contrat d’engagement et surtout le conducteur de l’œuvre à monter. Florence me l’apporte et me dit :

Mais je me fatigue vite. Au bout d’une demi heure, la portée se met à danser devant moi, exactement comme en Charente juste avant que je fasse mon premier avc avec le « Quintette à cordes Franco-Polonais ». Les notes bougent, ma vue se brouille. Je ferme les yeux pour me reposer et voilà que je pense à cette incroyable rencontre faite à Angoulême lors de la dernière tournée. Mes amis musiciens et moi même étions invités à dîner par les choristes. Je fis la connaissance d’une employée des impôts qui souhaitait s’impliquer en tant que nouveau membre du Chœur Amadeus car elle prenait sa retraite à la fin de l’année.
Au moment de la saluer, de lui serrer la main, je reçus comme une décharge électrique dans le bras. J’en fus secoué comme si je venais de toucher un fil de haute tension. Elle me regarda, puis elle me dit tout bas pour que les autres qui cherchaient leur place autour de la table n’entendent pas :

Le lendemain, comme elle me l’avait si gentiment proposé, Véronique vint me chercher chez mes chers amis Brigitte et Antoine. Mes hôtes à qui je parlais de mon expérience surprenante de la veille, m’assurèrent que Véronique avait bien des dons incroyables et qu’elle avait déjà soigné Antoine.
Elle me conduisit dans la banlieue d’Angoulême où vivait l’amie dont elle m’avait parlé la veille. Danya, une voyante qui très pieuse elle aussi, n’utilisait ses dons hérités de sa grand mère au ciel uniquement pour soulager gratuitement les peines et guérir les douleurs physiques ou psychologiques.
Danya me pria d’entrer dans une sorte de cabinet aménagé pour des séances thérapeutiques. Elle me demanda de m’allonger sur un divan, ce que je fis tout en restant sur mes gardes.
La pièce était remplie d’images pieuses, et franchement, je ne savais pas quoi en penser. Moi, catholique pratiquant, je me demandais si je n’allais pas tomber dans un rite diabolique qui ne me convenait pas. En découvrant une grande statue de la Sainte Vierge et du Christ, je fus un peu rassuré.
Enfin, Véronique la rejoignit. Elles posèrent leurs quatre mains sur mon corps comme pour jouer du piano, et aussitôt, Danya parla à son tour de visions terribles. Toutes les deux, sans s’être concertées, voyaient une nouvelle fois des étranglements, des cris de torture, des courses poursuites dans la nuit, des fusillades. Et du sang, du sang répandu comme autant de vies supprimées. Où étais-je alors ? Quel chemin m’avait conduit de ce lieu de guerre à la cour de la caserne de Chaumont en Champagne ? Le saurais-je un jour ? N’est-il pas incroyable qu’à notre époque, le Français que je suis ne connaisse ni sa date exacte de naissance, ni son nom ?
Après toute sorte de rites, de prières et de soins, elles imposent les mains une nouvelle fois sur moi et me disent que j’ai été inscrit à la DASS sous le nom « d’Eric Rivière » et qu’elles voient un complot, une trahison autour de mon berceau, puis un trésor dérobé. Des pleurs, un pendu. Puis Véronique alla se placer au fond de la pièce. Danya s’assit à une petite table prit un stylo et sur un tas de grandes feuilles de papier blanc se mit à décrire de grands cercles, et tout à coup, d’une écriture saccadée, irrégulière, très rapide par moments. Je pus lire : Ma chérie, c’est bien moi, je t’aime…  Qu’est-ce que cela signifiait ?
Danya continuait d’écrire assistée de Véronique qui, les yeux fermés posait les questions me concernant. Je n’en croyais pas mes yeux ! Le stylo allait tout seul sur les feuilles et traçait de grosses lettres qui formaient des mots. Je pus lire encore : Eric, petit prince, qui a beaucoup de dons et doit continuer à exercer son art…
« Qui est sa mère ? »  demanda Danya en levant les yeux vers le plafond.
Maria, Ă©crivit le stylo.
« Quelle est sa nationalité ? »
Russe par sa mère et Polonaise par son père juif  poursuivit le stylo.  Maria est une princesse… Elle vient de l’Est. Sa famille a été exterminée.
« Et son père ? » demanda encore Danya.
J’étais totalement abasourdi. Mais le stylo poursuivit sa narration. Je lisais en même temps que les lettres se formaient sur la feuille : Petit prince Eric à la famille très influente. Il doit continuer ce que Dieu attend de lui. Il a échappé à la mort. Le père regrette. Il a été obligé de se cacher. En Scandinavie. Sa mère se cache dans le Nord… Eric doit continuer son art…  Je vous aime.
Puis la main de Danya s’arrêta. Finalement, ce message de l’au-delà ne faisait qu’épaissir le mystère de ma naissance tout en confirmant tout ce que je croyais en savoir ou ressentais. Qui étaient ce prince et cette princesse dont je serais issu ? Pourquoi devraient-ils se cacher ? Et pourquoi m’ont-ils abandonné et que je me suis retrouvé dans une caserne ? Dernière question ; pourquoi l’état français m’a reconnu à un moment comme « Jeune Pupille de la Nation » ?

Je reviens au présent. Je suis là, immobile dans ce lit qui reste le seul endroit où je puisse être, tous ces épisodes sont remontés à ma mémoire avec une intensité extrême. Un peu comme si le Ciel, par l’intermédiaire de la grand-mère de Danya, profitait de mon grand état de délabrement actuel pour me parler directement, pour m’inciter à vivre. Et j’ai nettement entendu dans le silence de cette pièce à la porte fermée « Non, tu ne mourras pas, tu dois te battre ! »