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đź“» Radio'Paradise
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🔊 Volume : 100
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Par un temps bien froid

J’ai envie de travail. J’ai tant Ă  faire en cette fin de printemps. Mes festivals d’étĂ© vont bientĂ´t recommencer, je devrais donner mes cours Ă  l’AcadĂ©mie des Arts et faire tout ce qui remplit mon quotidien. J’aime m’occuper des miens et de ceux qui d’ordinaire me font confiance. Il me semble que chaque minute passĂ©e ainsi est perdue pour moi. Je ne suis pas fait pour l’inaction. Pendant mon enfance, mes parents m’ont si souvent rĂ©pĂ©tĂ© que de ne rien faire c’était «voler du temps au Bon Dieu» !
Calypso qui n’a pas le droit de venir dans la chambre gratte Ă  la porte et pousse des petits gĂ©missements. Elle a bien compris que j’étais malade et pense sĂ»rement que sa place est près de moi. J’ai bougĂ© malgrĂ© moi et je bascule encore, mais cette fois sur le lit, ce qui minimise les consĂ©quences. Je reste un très long moment la face tournĂ©e vers le plafond, les yeux noyĂ©s de larmes. VoilĂ  oĂą j’en suis, moi, le fier musicien polyvalent, capable de diriger par cĹ“ur, de tenir l’orgue s’il le faut ou de jouer une grande partie du rĂ©pertoire de l’alto. Est-ce pour en arriver lĂ  que j’ai passĂ© tant de concours, d’examens, d’épreuves et survĂ©cu aux menaces de ma petite enfance ? Pour me rĂ©signer Ă  ne pas bouger de peur de rouler comme un ballot ?

En m’appuyant sur ma main gauche, je rĂ©ussis Ă  me retourner et je tente de soulever mon torse, mais le matelas encaisse l’effort. Je rĂ©ussis cependant Ă  dĂ©coller mon Ă©paule, Ă  relever la tĂŞte et je pousse de toutes mes forces. Nouveau dĂ©sĂ©quilibre, je retombe, la face contre le dessus de lit. Une curieuse sensation irradie mon cĂ´tĂ© mort. Je suis essoufflĂ©, comme si j’avais couru un sprint. Mais il faut recommencer. Je ne suis pas de ceux qui se rĂ©signent. Je dois ĂŞtre digne de la chance qui m’a toujours suivi, qui m’a sorti de l’état de petit animal de compagnie dans la caserne de Chaumont, et m’a conduit chez les Hilger mes parents Ă  qui je dois tout, ma reconstruction, mon instruction, ma foi, ma qualitĂ© de musicien, de peintre et d’entrepreneur.
Je recommence. Ma main gauche prend appui un peu plus bas, pour bien centrer le poids de mon torse. Je regrette Ă  cet instant d’être un grand gaillard aux larges Ă©paules. Si j’étais un rabougri, un gringalet, l’opĂ©ration serait plus facile. Mais je dois Ă  mes ancĂŞtres, Ă  mes gĂ©niteurs que je ne connais pas une stature imposante, une apparence de santĂ© totale mais aussi mes tares hĂ©rĂ©ditaires que je viens de dĂ©couvrir et que j’ai donc transmises Ă  mes quatre garçons. L’intĂ©rieur du grand gaillard que je suis est fragilitĂ©s, vertiges, fulgurances, complications. Aujourd’hui encore en voiture je suis toujours pris de nausĂ©es dès que je ne conduis pas. Un paradoxe parmi d’autres !
Je pousse de nouveau. La tĂŞte rentrĂ©e dans les Ă©paules, je serre les dents en priant le Ciel que personne n’entre Ă  cet instant. Me voilĂ  enfin en Ă©quilibre sur l’avant bras. Encore un effort, j’y suis presque ! Je tente de poser ma main droite insensible sur l’oreiller et voilĂ  qu’elle part Ă  l’avant avec une force que je ne peux pas maĂ®triser. Je roule et tombe sur le plancher avec un bruit sourd. J’ai peut-ĂŞtre poussĂ© un cri, mais je ne l’ai pas entendu.
La porte s’ouvre brusquement. Florence me trouve dans cet état de salamandre, d’animal rampant.
« Qu’est-ce qui se passe ? Tu as glissĂ© ? Â»
« C’est rien ! Â»
Je retiens mes sanglots. Je vais renoncer Ă  me rééduquer moi-mĂŞme. J’ai Ă©tĂ© prĂ©tentieux de croire que je pouvais me passer de l’aide des spĂ©cialistes. Il a raison, le neurologue : le violon, c’est bien fini pour moi !
« Tu ferais mieux de t’allonger ! Â»  me propose Ă  nouveau Alexandre, qui après une phase d’observation et de rĂ©flexion habituelle chez lui, parle avec sagesse.
M’allonger ! Rester dans la position des grands malades, des grabataires, des morts ! Rester ainsi, en attendant qu’on m’apporte Ă  manger et qu’on me mette une couche culotte qu’il faudra changer ? Impossible ! Je ne rĂ©ponds pas et je laisse Alexandre me remonter sur le lit. Je l’aide de mon mieux, mais soulever le poids mort de son père lui fait mal et je sens sa main hĂ©sitante. Florence venue Ă  son tour l’aide Ă  m’allonger et arrange un oreiller sous ma tĂŞte. Je voudrais sourire, les remercier et les rassurer, mais mon visage reste impassible ; le masque du dĂ©sespoir fige mes traits. Ma femme ne dit rien et sort en poussant Alexandre devant elle. Finalement, je me sens mieux couchĂ© sur le dos qu’assis. Je regarde le plafond sur lequel je projette des tas de choses.