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Entre la terre et le Ciel

Finalement, j’ai eu raison, encore une fois, de n’en faire qu’à ma tête car tout s’est bien passé. Je ne me suis pas reposé comme me l’avait conseillé le médecin consulté la veille et ce qui m’est arrivé à Angoulême n’est plus qu’un mauvais souvenir. La leçon a quand même un peu servi. En fin de semaine, je consulte mon médecin généraliste à Ormesson qui décide de m’envoyer chez un cardiologue. Ma tension est trop élevée et un nouveau traitement se montre peu efficace. J’ai des vertiges et des troubles de la vue auxquels je me suis habitué depuis mon enfance et des fourmis dans les membres. Je ressens une sourde menace, une sorte de pression qui ne s’évacue pas, comme si tout mon organisme tournait sous la contrainte et que chaque partie de mon corps s’usait plus que la normale. Je me demande souvent si cela n’a pas un lien avec l’accident de voiture totalement inexpliqué qui était peut être de même nature que mon malaise sur scène. C’était en novembre 1997. En sortant d’un parking à bord de ma Citroën blanche, je me suis encastré dans un énorme poteau d’éclairage. Le choc a été si violent (donc, je roulais trop vite, ce qui n’est pas dans mes habitudes) que mes deux incisives se sont cassées en transperçant ma lèvre inférieure.
Après le transport en urgence avec les pompiers à l’hôpital Sainte-Camille de Bry sur Marne, le médecin urgentiste qui m’a recousu sans anesthésie pour que cela soit moins visible, a supposé que la cause de l’accident était une perte de connaissance. Il m’a conseillé de faire des examens plus approfondis.

Je n’ai pas trouvé le temps de consulter un spécialiste et moins de trois mois plus tard, mon état général s’est bien dégradé. J’ai de plus en plus de difficultés à me tenir debout pendant les concerts et surtout lors des répétitions avec mes chanteurs de la « Chorale Saint Martin » de Suçy-en Brie et de la « Chorale des Quatre Vents » de Rosny sous Bois. Ma femme Florence insiste pour que j’aille voir enfin le médecin spécialiste, ce que je finis par accepter. Celui ci ne trouve rien d’anormal à part le fait de devoir traiter encore plus efficacement cette fichue tension artérielle !
Pourtant, je sens que je vais mal. Ce mal de tête, au cœur, mes méninges en feu persistant ne m’ont pour autant jamais empêché de me concentrer et de faire de longues études mais deviennent parfois insupportables. Et puis, quand je joue de l’alto, je sens en permanence comme une lourdeur du bras droit. Cela ne m’inquiète pas outre mesure, pourtant, face à l’insistance de Florence, je consulte à nouveau notre médecin de famille, le docteur Lavaquerie. Il me prescrit des médicaments pour essayer de faire baisser mon hypertension et ordonne toute une série d’examens médicaux supplémentaires. Je passe plusieurs scanners et IRM cérébraux au CHU de Créteil. Et c’est là que les médecins constatent que j’ai des traces d’hyper signaux et surtout une tache blanche. J’appends donc stupéfait que j’ai déjà fait un AVC hémorragique !
C’est sérieux. D’un coup je réalise que ma vie est en danger depuis plusieurs années déjà mais que je suis aussi très résistant. Je dois consulter de nouveaux spécialistes, même si je refuse de m’inscrire dans la spirale des grands malades ou de jouer la victimisation. Sur les recommandations d’amis médecins, le professeur Simon responsable du service de cardiologie à l’Hôpital Georges Pompidou à Paris m’examine sans plus attendre.
Le 28 mars 2011, je suis hospitalisé toute une journée pour une série d’examens approfondis. Il en découle l’élaboration d’un traitement lourd contre mon hypertension récalcitrante basé sur trois molécules dont on espère les bons résultats.
Très vite, me croyant désormais bien protégé par le traitement mis en place par des spécialistes compétents, je reprends de front toutes mes activités. Je suis parvenu à construire ma vie selon mes rêves et à la force des poignets vaincre tous les scepticismes. Depuis 1989, je suis professeur à « l’Académie des Arts » de Thiais. La peinture, tout comme la musique font intégralement partie de ma vie. Je peins ou j’écris des poèmes, pour exprimer mes lumières, ma foi, mes convictions, mon espérance, les images fugitives qui peuplent ou hantent mes nuits et qui se transforment et se transcendent sous mes pinceaux en tableaux expressionnistes colorés. Ainsi toutes mes souffrances tendent la main à la joie où l’espérance relie tous les tons de mon esprit.
Je suis «L’Altiste-Peintre», c’est ainsi que je me présente. Je suis un peu iceberg énigmatique pour certains. Etre d’apparence, dont l’unité s’exprime dans l’harmonie des sons, des mots choisis et des couleurs. Au début, cela m’a valu pas mal de déboires. Lorsque j’étais avec des « peintres professionnels », ma nature de musicien faisait de moi une sorte de « gentil amateur » qui refusait l’engagement total que demande l’expression d’un art. Chez les « musiciens sérieux », on supposait que mon goût pour la peinture était la conscience de ne pas être de leur niveau. Je ne me trouvais nulle part à ma place mais avec le temps, tout ceci s’est arrangé.

Ce mercredi matin 24 mai 2011, je quitte la maison comme d’habitude sans rien dire à ma femme de mon terrible mal de tête qui me rappelle la douleur ressentie à Angoulême. Je vois trouble, ce qui n’est pas nouveau, j’ai encore plus l’impression de marcher sur un tapis très mou, de ne pas sentir le sol sous mes pieds mais je n’ai pas l’habitude de m’écouter. C’est un comble pour un musicien ! Oui, J’ai appris à vivre avec mes douleurs, mes insomnies, mes cauchemars qui me replongent toujours dans ma petite enfance où le danger et la mort semblaient roder autour de moi. Je ne fais plus attention à mon état de «patraquerie» pour reprendre un terme appliqué à Paganini malade un jour sur deux, ou même au prêtre roux Antonio Vivaldi, toujours entre deux malaises et qui savait si bien en jouer pour s’éviter certaines corvées.
Comme chaque semaine, je dois conduire mon fils, Constantin, au sport. En marchant dans la rue, j’ai l’impression que le sol se dérobe sous mes pas et que je vais tomber en avant. Des tremblements agitent mes membres ; une sorte de courant électrique fort désagréable contracte mes muscles. Une fois assis au volant, je me sens mieux et je retrouve mon optimiste habituel. Je tente même de plaisanter avec Constantin qui me regarde avec anxiété. A-t-il remarqué quelque chose sur mon visage ? Je ne lui pose pas la question.
Au court de tennis, mon fils prend son sac et, au moment où je m’approche de lui pour l’embrasser, je manque m’étaler. Il me prend la main. J’ai l’impression de sombrer dans un puits sans fond.

A midi, quand mes élèves du matin sont partis, je me prépare à manger mon sandwich préparé par ma mère mais j’ai tellement mal à la tête que je décide de prendre un médicament. D’ordinaire cela suffit. Au moment de me lever pour aller chercher un verre d’eau, je ne sens plus mes jambes. Incapable de me mettre debout, je vois la pièce tournoyer autour de moi. Madame Capron, une maman d’élève qui souhaitait me parler, entre à cet instant et me voit me tenir la tête entre les mains. Elle me parle, j’entends très vaguement sa voix mais je ne peux pas bien lui répondre. Une partie de mon corps semble m’abandonner, je ne sens plus mon côté droit ; mon bras refuse de se lever de la table devant laquelle je suis assis, ma jambe droite est lourde au point de ne pas pouvoir la bouger, du plomb. La dame court donner l’alerte. Heureusement, il y avait encore quelqu’un au secrétariat qui appelle les pompiers.

Cette fois, c’est très grave, toute ma personne le ressent, ce n’est pas une pensée, mon cerveau ne fonctionne plus, c’est une certitude hors du corps, hors de moi-même, de mon âme qui semble déjà vouloir quitter son enveloppe matérielle. On court dans le couloir, on monte les escaliers menant à ma salle située au premier étage ; les éclats de voix s’amplifient dans la pièce vide. L’être immatériel que je suis devenu entend tout cela. Des hommes font alors irruption dans la salle, se penchent sur moi, me parlent, me secouent, mais je ne peux plus leur répondre ni faire le moindre geste. Je pense à Dieu. L’heure est-elle arrivée de le rencontrer ? J’entends le médecin des sapeurs pompiers secouer tout le monde car mon état est gravissime.

Autour de moi, on s’affaire. Le médecin, qui tente désespérément de me mettre sous perfusion mais n’y arrive pas car mes veines roulent sous l’aiguille, se met à crier : «Putain, on va le perdre ! Téléphonez à sa femme !» L’ambulance démarre en trombe, sirène hurlante, traverse la ville de Thiais, rejoint l’A 86 pour aller vers l’hôpital Henri Mondor. Le conducteur donne de brusques coups de volant, freine, accélère sans se préoccuper du confort des occupants. L’urgence, c’est de me conduire en soins intensifs avant que la flamme de vie qui vacille encore en moi ne s’éteigne définitivement.
A l’hôpital, le personnel médical m’attend, et à toute vitesse, me conduit à l’étage où des neurologues me prennent en charge et parlent sans ménagement. J’ai très mal, malgré cette sensation bizarre d’être en dehors de mon corps. Le médecin réussi enfin à me perfuser au bras gauche, je sens le liquide passer dans ma veine et me brûler.
Pour bloquer mon esprit, pour ne pas entendre les battements rapides de mon cœur semblable aux roulements d’un tambour qui précède les exécutions, je récite en boucle des « Notre père » et des « Je vous salue Marie » et je me mets à chanter intérieurement des psaumes sans discontinuer sur la note du diapason. Un des responsables du service de neurologie présent arrive et dresse un premier état des lieux catastrophique. « Pour lui, il n’y a plus d’espoir » et on parle sans précaution de récupérer ce qui peut encore servir, mes organes épargnés par l’attaque. Je continue de prier de plus bel et même si le souffle semble me manquer parfois et que mes pensées deviennent de plus en plus imprécises.
Je sombre tout doucement dans un trou sans fond et je m’entends crier : « Non, non ! Pas encore ! Je veux vivre ! » Je ne sais pas pourquoi, je me vois à cet instant, devant mon professeur d’alto lorsque j’avais 14 ans, et qui me disait que « jamais Michel tu ne seras un musicien professionnel, en tout cas pas comme altiste ! »
Et puis apparaît un tas d’images de mon passé et ce numéro écrit en lettres de feu devant ma conscience : 220666. Je me vois tout petit garçon blond, ressemblant incroyablement à Constantin, mon quatrième fils, courir dans une enceinte fermée par des hauts murs gris surmontés de fils de fer barbelés. Je suis comme terrorisé ; seul, je cherche un endroit pour me cacher. Et puis je me remets à prier mon Dieu et là, d’un coup, j’arrive à faire un signe, je ne sais pas vraiment lequel mais j’entends le neurologue s’écrier :

Florence est avertie vers 13 heures par la directrice de l’académie. Elle arrive vers 16h à l’hôpital et on la conduit dans la salle d’attente des « soins intensifs » où on l’oublie totalement.
Enfin, deux heures plus tard, on lui dit enfin que je suis remonté des examens et qu’elle peut me voir, dans une chambre individuelle médicalisée. Je suis « branché de partout ». Je garde les yeux fermés, l’apparence de la mort. Puis sans ménagement, on lui demande de sortir et de rentrer chez elle après lui avoir dit :
« Son état est très sérieux, précise le neurologue présent. Votre mari semblait perdu, là se réveille mais il gardera des séquelles irréversibles »
«  N’importe quoi ! » me dis-je en moi comme devant mon ancien professeur d’alto.
J’arrive alors à entrouvrir un peu les yeux, Florence met sa main sur mon bras, me donne un baiser et me dit :
« On prie pour toi ! »
Et elle s’en va, il est déjà tard. Florence doit récupérer nos quatre garçons qui sont chez mes parents. Le lendemain, et après avoir fait du forcing, ma femme arrivera à voir un responsable du service et enfin à pouvoir lui parler, alors qu’il avait bien précisé aux infirmières qu’il ne voulait surtout pas avoir à faire avec la famille. Elle apprend que mon état n’est plus « désespéré » mais vraiment « grave ».